Naviguer dans l’écosystème du numérique responsable : Guide des ressources et initiatives en France

Naviguer dans l’écosystème du numérique responsable : Guide des ressources et initiatives en France

Dans un monde de plus en plus numérisé, l’empreinte écologique du numérique est devenue un enjeu majeur. L’émergence du numérique responsable est le fruit d’une prise de conscience collective quant à l’impact de nos activités en ligne sur l‘environnement et nos sociétés. Mais comment naviguer entre concepts, outils et pratiques qui composent le numérique responsable ?

Depuis un atelier à Paris Web avec Frédéric Bordage en 2019, je m’intéresse fortement au numérique responsable, GreenIT et à l’IT for Good.
J’ai beaucoup lu sur ces sujets. J’ai également suivi deux formations sur l’écoconception (à destination de développeurs et Product Owners) et je suis assidûment l’actualité sur ces thématiques (hello Techologie !).
Ces différentes sources d’informations m’ont permis de détecter les arbres qui cachent le greenwashing

J’ai aussi pu profiter de l’opportunité offerte par mon entreprise pour partager une partie de mes apprentissages et découvertes en interne et en externe. Ce qui m’a permis d’échanger avec de nombreuses personnes au fait des impacts négatifs du numérique, motivées à agir, mais sans savoir quoi faire exactement face à l’immensité du défi qui se présente à nous.
Certaines semblent même vouloir réinventer la roue alors que, pourtant en France, tous les outils existent déjà pour concevoir un numérique responsable.
Il me semble donc important de faire un état des lieux des ressources utiles pour être armé dans le domaine du numérique responsable.

Les outils de l’État français

Pour commencer, l’État français a produit deux référentiels sur les bonnes pratiques pour un numérique responsable :

Il s’agit d’une liste de conseils afin que les structures puissent gérer durablement leur système informatique (site web, organisation et infrastructure).
Tous les sujets sont regroupés en chapitre : stratégie et gouvernance, sensibilisation et formation, mesure et évaluation, réduction des achats, achat durable, phase d’usage, administration et paramétrages, services numériques, salle serveur et centre de données et fin d’usage.
Ce guide va bien au-delà du domaine du développement. Il remet en perspective toute l’utilisation de l’informatique dans le monde de l’entreprise.
De plus, chaque bonne pratique est triée par degré d’importance et de difficulté à mettre en place. Un export est accessible au format JSON et CSV afin de les intégrer dans d’autres outils.

D’autres bases de données de mesures durables existent (cf. la partie référence en fin d’article). Mais l’avantage de celle-ci réside par le fait qu’elle soit portée par l’État et qu’elle pose les problématiques importantes de l’impact du numérique.

Il s’agit d’une liste de bonnes pratiques pour réaliser des applications numériques.
Tout comme le précédent guide, il est facile d’accès grâce à son découpage en huit chapitres : Stratégie, spécifications, architecture, UX/UI, contenus, front-end, back-end et hébergement. Il contient également des KPI que l’on peut suivre pour mesurer son évolution.
Il est aussi porté par l’État. À savoir l’ADEME, la DINUM, le ministère de la transition écologique, et également par l’INR.

Sa première version a été complétée par un plug-in navigateur afin de faciliter la saisie du fichier de suivi des critères.

De plus, les personnes les plus intéressées peuvent aussi se pencher sur la norme qui définit l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) : ISO 14040/44. Mais sa lecture — seulement 50 pages — est un peu rébarbative et théorique sans mise en pratique complexe.

Et c’est tout ! Toutes les bases des actions à entreprendre se trouvent dans ces deux bases de données.
On peut cependant compléter ces principes par le guide des achats responsables, et la participation à une fresque du numérique qui permet de mieux comprendre les causes et conséquences de l’impact social et environnemental du numérique.
Le livre “Green IT — Les clés pour des projets informatiques plus responsables est également une très bonne porte d’entrée pour mieux comprendre les enjeux du numérique responsable. Il propose également des pistes de réflexion pour l’implémenter dans son entreprise.

Vous souhaitez aller plus loin ? C’est possible ! Mais attention, vous entrez dans une forêt remplie de données qui pourront vous perdre et dont le contenu n’est pas toujours accessible.

La communauté GreenIt et la mesure de l’impact du numérique

La communauté GreenIT est très active. Elle produit notamment des données brutes, telle qu’une analyse du numérique au niveau mondial.
Cette étude tient d’ailleurs une place centrale dans les réflexions françaises sur le numérique responsable et toute présentation sérieuse sur le sujet cite cette étude.
En effet, cette communauté a publié des chiffres et diagrammes très complets et accessibles sur les phases de fabrication et d’utilisation de ressources par les utilisateurs du numérique, sur les centres de données et aussi la partie réseau.
Est-ce nécessaire de lire cette publication ? Oui, si vous voulez rentrer dans les détails des enjeux du numérique. Mais si vous souhaitez garder une vision d’ensemble, probablement pas.

Leur outil EcoIndex est également fortement utilisé. Très complet, il a d’ailleurs été repris par de nombreux acteurs.
Leur dernière version est encore plus complète. En particulier avec la mise en place d’API et le développement d’un plug-in SonarQube. De ce fait, tous les artisans du web ont envie de l’utiliser.
Cependant, est-il nécessaire Oui, si vous voulez suivre un KPI d’évolution de votre site. Mais gardez tout de même en tête ses limites. Il se base sur l’analyse du DOM et de la taille du site. À partir des résultats et de la moyenne d’Internet, il donne une note et une correspondance en émission de gaz à effet de serre et d’utilisation en eau. Mais ces chiffres — on reviendra dessus ci-dessous — sont sujets à caution et discussions car ils ne représentent pas la réalité.
Par ailleurs, cet outil se concentre sur l’optimisation d’un site déjà existant. Ce travail est donc tardif dans la chaîne de production. La véritable question à se poser étant de savoir avant la conception d’un service numérique, s’il est réellement nécessaire ou non.

Pour finir, la communauté GreenIt a également produit sept référentiels pour un numérique responsable (références en fin d’article).

Le Shift Project et le calcul des émissions de GES

Le Shift Project et ses publications sur le numérique sont-elles vraiment à lire ? Oui et non.

Oui car ce think-tank est le premier à avoir popularisé la notion de bilan carbone sur le numérique et à avoir tenté de quantifier tout cela grâce au 1 byte model. Mais le souci de l’étude centrale est d’avoir produit certains chiffres erronés qui ont brouillé le message. L’autre problème : Leur étude se concentre uniquement sur le bilan carbone en ne parlant pas des autres externalités (normal, le cœur de l’association est l’étude des émissions de gaz à effet de serre).

Mais on peut aussi revenir sur le cœur du message, la tentative de réaliser un calcul d’émission carbone par octet lu.
Avant de sauter sur un KPI qui permettrait d’indiquer l’émission en GES d’une page, d’un site ou d’une application, la première étape est de comprendre que la quantification physique est impossible.
En effet, les données et l’énergie ne sont pas comme l’eau. On ne peut pas voir le passage d’un octet, d’un bit, dans le tuyau qu’est le réseau. Le matériel consomme de l’énergie dès son branchement (qui avec une correspondance avec le mix énergétique d’un pays peut donner une correspondance en GES). Le CNRS a même publié une étude qui montre qu’un routeur qui ne gère aucune communication et un routeur qui est au maximum de ses capacités ne consomme que 10% d’énergie en plus (15W vs 17W).
Pour comprendre ce fonctionnement, j’aime bien utiliser l’image du frigo. Il est peu probable que vous ayez vu une différence de consommation électrique en fonctionnement suivant la saison ou la quantité de nourriture à l’intérieur. L’impact le plus important est d’avoir ou non un frigo.

Le chiffre d’équivalent CO2 donné est donc un KPI généré à partir de données globales obtenues par ailleurs (les ACV la plupart du temps), rapportées à des unités (par personne, par octets…). Ces chiffres peuvent certainement aider le suivi. Mais ils cachent le fait que la plus grande pollution est générée lors de la fabrication des appareils numériques, que ce soit au niveau des utilisateurs ou des data centers. Pire, il peut faire culpabiliser à l’échelle individuelle, alors que la solution serait plutôt au niveau collectif.

Malgré tout, le Shift Project a eu la bonne idée de creuser le sujet. Depuis, beaucoup de scientifiques tentent de donner un chiffre logique sur le coût en GES d’un site internet. D’autres structures se sont aussi engouffrées sur ce sujet de recherche et produisent des études poussées sur les externalités du numérique.

La 5G et la consommation énergétique

La 5G est doublement prometteuse sur le papier. En proposant plus de débit pour les futurs appareils mobiles tout en diminuant la consommation d’énergie.
En effet, dès la rédaction de la norme, les auteurs ont décidé d’imposer l’obligation d’arrêter les équipements en cas d’absence de transfert de données. Cela permet de diminuer la consommation électrique et donc de GES.

Cependant, cette promesse est remise en cause par deux points :

Cette mise à jour des réseaux de téléphones mobiles permet d’aborder un sujet important : Se concentrer sur un seul indicateur peut entraîner des impacts négatifs ailleurs.
Ainsi, le gain d’énergie promis par l’utilisation de la 5G est-il pertinent face à la dépense augmentée en eau et minéraux (et de nouveau l’énergie) qui va être générée par la phase de fabrication ?

De fait, face à un nouveau projet — en informatique ou infrastructure, les parties prenantes doivent, non pas prendre un seul facteur en considération, mais trois afin d’éviter les transferts de pollution.

Ces facteurs correspondent aux consommations en :

Ces facteurs doivent bien sûr être considérés dans l’ensemble du cycle de vie du projet, à savoir lors de :

Et pris en compte pour l’ensemble des infrastructures numériques, soit :

Et malgré ces chiffres, il faut rester humble car certains sujets ne sont pas comptabilisables.
En effet, comment mesurer les conséquences sociales du numérique ? Par exemple, comment quantifier le fait que certains enfants travaillent dans des mines en Afrique ? Ou comment prendre en compte le mauvais recyclage des téléphones ?

Le bon numérique est celui qui n’existe pas

Finalement, le discours le plus difficile à diffuser n’est pas une redirection vers un numérique plus sobre. Une grande majorité d’acteurs a envie de diminuer ses impacts. Le plus difficile est de faire comprendre que le numérique responsable n’existe pas !

Pour paraphraser Richard Hanna, le fondateur de Techologie :
À quoi sert d’écoconcevoir un site e-commerce, si ce travail d’optimisation, à travers la prise en compte de la vitesse, de l’utilisation minimale de ressources, d’un bon référencement et d’une bonne accessibilité, augmente les ventes de produits fabriqués à l’autre bout du monde ? Quel intérêt d’écoconcevoir un site de média qui parle d’écologie si, au final, ce dernier a un business model basé sur des publicités qui se rechargent automatiquement ? Ou qui poussent à acheter des produits qui ne sont pas nécessaires ?

Pour aller plus loin, les propos d’Aurélien Barrau touchent là où ils font le plus mal :

Le pire serait d’avoir une énergie considérée comme propre, car avec cet outil, on détruirait la vie et la Terre sans aucun scrupule. Qu’ils soient alimentés en pétrole ou en énergie verte, une pelleteuse détruira toujours l’environnement. Il faut donc changer de paradigme !

La question centrale est donc de réfléchir au pourquoi du service numérique. Doit-il servir la croissance écologique tout en continuant de générer de la pollution ? Ou au contraire être au service de l’utilité publique et du bien commun ?

Pour aller plus loin

Quelques liens complémentaires en plus de ceux donnés dans l’article :


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